MALARIA


Lequel est le plus cher, le nom ou le corps ?
Lao-tseu


Le plus haut degré de présence est l’absence.
Walter Benjamin

 

“Il est trop facile
de faire ce qui nous plait
et ce que l’on veut”.

La boite en fer blanc
est ronde et tourne
une partie sur l’autre.
Vide, on peut la sentir
et la lécher, quand 
la réglisse est terminée.

pomme orange prune
pomme orange prune

... d’où surgissent
les rêves,
vêtements et contours
du monstre, de la folie : 
mixés, un puzzle avec
les pièces mal placées,
comme des oiseaux colorés
ou des chauves-souris
détachées d’un coup 
de l’arbre bleu d’encre.

“Ça doit être une entente
des grands,
par méchanceté ou jalousie.”

Sur la tour imprenable
et sûre du château
d’où l’on tient le reste
à l’œil. Un royaume
petit mais paisible au 
moins tant que
la porte est fermée à clé.

 (Elle scrute, debout 
en équilibre sur le bord 
de la baignoire, examine 
dévêtue sur le miroir
sa forme ou une raison
pour tant de désir.)

le pas est pesé et posé un peu
la pierre est lancée droit dans les cieux
il te faut cesser ou quitter les lieux

“Ma mère dit que 
je peux tout enlever”.
“La mienne, juste mon 
pantalon et mon tricot”.

(Se voir, être 
vu. Le mettre à nu.
Le tenir, s’il doit être
tenu. Mais il lui semble
qu’il faut chercher
autre chose…)

Rouge. De fièvre, de
sang. Dans le feu. 
D’ongles et de lèvres.
De gens sans-dieu 
De capes, de drapeaux.

Dans le sous-marin, “Io”,
en route vers les mers.
“Tout le monde sous le pont,
fermez les écoutilles.
Plongée d’urgence”.
L’espace limité
la poche des odeurs
l’ombre du lit.

“… cœur, table, nid
gnome, bât, toit”.

Encore. Précise
la sèche rengaine
mot pour mot.
Miroir, portrait
analogie, preuve
qu’il y a, dessous, la chose : 
ce qui sera toujours
et a toujours été,
pas n’importe où et
tel que c’est. Dicté.

… sur le Livre des
Livres Célèbres
dans l’encyclopédie.

“… il a les couleurs
du feu, de la neige
et du gazon”

“Allez, paye le prix.
Dire, faire, embrasser,
lettre ou testament ?”

(Il ne s’arrête pas
en fait ça lui semble encore 
meilleur de recommencer.
Mais il n’est pas certain
que c’est grâce à ça
qu’il reste mince.)

“Plus tu iras vite et
plus ça te plaira, tu verras”.

… qu’un mot 
ait un sexe et une
personne (masculin se 
terminant en ette !). Mais 
plus incompréhensible encore
est l’état de manque
d’absence, en somme
l’apparence niée
dans un concept même pas
rejeté, inconcevable,
du rien et l’étonnement
à le prononcer.

“La sienne, où est-elle ?
De quoi est-elle faite ?”

(A lui seulement le plaisir 
d’être pris. Et
la pensée que c’est
injuste et préjudiciable,
et pas tant pour elle
au fond, si elle n’en a pas.)

“Tu l’apprendras quand
tu seras plus grand”

Vu en secret et raconté
à l’abri, des murmures
dans l’ombre, les lisières
incertaines, jamais de preuves
exactes des signaux
cueillis, arrachés
vite fait bien fait
en syllabes, de peur
d’être découvert
avant de découvrir 
des centimètres carrés
de recoins, de duvet.

Une renarde rare et noire
un soir erra rue Renoir

Peur qu’une vitre se casse
que le sel se disperse
que se renverse l’eau qui bout
qu’une gitane pénètre dans la maison
que la fiasque d’huile tombe
que la santé se ruine.
Peur de rester dans l’obscurité
de trouver un assassin dans la maison
de se crever un œil sur une pointe
de ne pas être promu
de tomber dans un ravin
de finir au fond d’un lac
de se noyer, de se faire écraser.

 “… tu l’as dit.
Rien que si tu l’as pensé,
que cela soit le cas
n’importe plus”.

“T’en es, alors ?
Allez, soyons vulgaires”.
“Nous devons dire
tous les gros mots”.

Dis et cherchés
dans le dictionnaire.
Admis donc, ou
pas inconnus de tous.
Et les autres, synonymes
plus amorphes et gris,
au moins consignés.

“On se met comme ça,
l’un sur l’autre”.

(Allongé, au lit 
pour l’énième répétition
générale avec l’oreiller.
Fébrile et haletant
en l’embrassant, enlacé.)

Contre un miroir 
qui en reflète un autre,
un petit qui monte et
descend, à vérifier
quel est l’effet 
d’une vue différente.

“Tu ne dois pas traîner
avec ces voyous”.

C’est peut-être bien
ça le piège,
celui pour te tenter,
pour te faire tomber
et, une fois dans le filet,
te condamner pour l’éternité
parmi les hurlements et le cris
dans le lac, dans la fosse
au milieu du feu.

“Ce qui est confessé 
est ôté. Et tu seras libre
une fois acquitté”.

(Ça le tourmente d’un
coup, l’idée effarée
de ne pas correspondre
au modèle de pureté
auquel on l’a habitué.)

… que sorte
un blasphème
sans le vouloir, qu’il
se forme en tête
pour un déclenchement
inopiné.

Mais, oui, quiconque est allé
aux sept premiers vendredi
du mois, prières
et litanies pour chaque soir,
quoi qu’il ait fait 
et qu’il continue à faire
est sûrement sauvé.

“Pendant ce temps, partout
Dieu te voit”.

(Il pointe là, sans
savoir. Pendant ce temps
sa main est attirée,
aspirée par instinct 
vers ce convexe
sans prise.)

“Je le dirai à ta mère
que tu me touches”

… qu’advienne et
peu importe comment
que finalement
soit ôtée toute réserve
et que, coûte que coûte,
il y ait suite.
En dépit de l’idée
de dégout peut-être
encore dans le sang
dans l’odeur et dans la sueur.

 “Elle aussi aime
ne pas croire”

A consommer rapidement
dans l’obscurité, dans une 
chambre close, 
sans qu’on ne le voit ou
qu’on ne le sente, en cachette
en douce, au détriment
de quelqu’un, comme une offense
un risque et plus encore, une honte
en enfreignant du mieux 
possible la consigne.

… et il est, il se révèle
incohérent
tant il est dit
ordonné et exigé,
à l’encontre de la persistance
ferme et sourde,
ça oui et comment,
impérieuse et urgente
de son nom.

Répété à nouveau
pour lui-même ou à voix haute
recopié en longues
lignes sur ses cahiers,
en grand et en petit
cursive ou d’imprimerie
dans l’alphabet grec
avec la plus ancienne écriture
jamais conçue, voire même
ciselée. Toujours le même. 

“Quand tu tiens à l’une d’elles
ne le fais pas”

Qu’elle soit damnée, oui,
et impure et sale
perdue… mais pourtant destinée
à éteindre une soif
gourmande pour
cette chose précise
douloureusement désirée.

(Son rêve est de
se perdre, de tomber entre
les mains d’une femme
sans scrupules.)

“On se fait faire
tout ce qu’on veut”.

A compléter enchaîné
à une autre, repoussant 
ses contours, à voix presque
éteinte, incisive
sous la dent comme
sous la jupe,
un souffle désespéré
de… putain.

(Trad. Clément Molaro)

 

 


  Paolo Ruffilli Mail: ruffillipoetry@gmail.com